samedi 27 novembre 2010

...EN VRILLE SUR DES SOUVENIRS DE JEAN

N.B. ICI, JE NE RÉFLÉCHIS PAS SUR L'INCESTE, L'ABUS SEXUEL OU LA VIOLENCE, je raconte. Alors, lectrice, lecteur, si tu lis, tu entreras ici par la porte sombre et toute personnelle.
C'est une sorte d'aparté dans mon carnet!



♪♫ La chanson de circonstance ♪♫
Fais dodo Pinoche, ta mère est aux noces
Ton p’tit frère est allé chercher un morceau de pain
Gros comme la tête de ton p’tit chien
(ritournelle de mon enfance, en toutes lettres ici, apprise de ma mère)



Et ton père ?


Une petite moustache hitlérienne sous le nez. Comme tant de ces mâles de l’époque. Le Canada français en était farci comme on pouvait le voir sur des photos crispées et sans couleur. L’Église sous son Pie XII et le Québec sous tout ça adhéraient au fascisme en voie de déploiement, voire participait au racisme, à l’endroit, à l’envers et à l’encontre des juifs et mataient de plus belle, pour une dernière génération, ses enfants à élever et ses femmes  « matri-archontes »  - « marche à la maison, je t’y rejoindrai après la taverne » ou « j’ai besoin d’un scotch bien tassé ».

Pour mon père, c’était le scotch bien tassé et reclassé des gens d’affaires, et, quant à la moustache, la sienne, c’était une vraie imitation d’apparence prétentieuse. Il avait le poil blond et les yeux bleus aryens et son « sous le nez» n’était pas spacieux, car son nez prenait toute la place. La moustache n’était que quelques poils droits anonymes qui imitaient ce que je ne connaissais pas encore. Plus tard, lorsque la mode disparut et qu’il ne restât que Charlot pour la porter, je n’arrivais pas à me rappeler le moment où il l’avait fait disparaître. Je me demandais parfois : était-ce un faux souvenir que celui de sa moustache étrange ou n’était-ce qu’une « pinotte réduite en compote » comme j’aimais à me le raconter, la rendant presque invisible par ma toute-puissance d’enfant! Voilà ce que c’était dans ma tête de survivant ou presque, enfant qui tentait d’effacer la moustache et qui la regrettait tout autant!

- Mais, en vérité, en vérité… Faut passer aux aveux, maman !
- Pas tout de suite, mon petit homme !

Son caractère à la hitler n’avait en rien disparu lorsque disparut sa moustache de « pistache ». J’avoue ici que j’aimais aussi à penser « pistache » que j’ajoutais à la « compote de pinotte », cherchant par là à ne pas trop en dire qui aurait été insupportable aux adultes et dangereux pour ma survie. Je disais intérieurement « pisse tache » pour opposer l’hitler à sa compagne, ma mère, qui cherchait mordicus à m’insuffler une belle éducation à la propreté. Car elle était propre ma mère. Ma mère qui nettoyait tout au cure-oreilles. Et j’avais peine à appliquer ses injonctions, souillon et brouillon que j’étais.

Comprenez, je vous prie ! Pour elle, si quelque fois la mousse tache, la plupart du temps elle détache. Alors qu’au contraire, pour moi, la pisse tache avec certitude, à cause de sa couleur jaune prégnante et odorante en prime. Et la moustache de mon père était aussi colorée probablement par cette odeur qu’il avait. Alors, sa « moustache de pisse tache », vous voyez ! Et, absent si souvent même lorsqu’il était là, sa présence de fantôme imprégnait davantage notre vie que sa présence réelle. Il imprégnait, c’est tout. Sa « mousse tache de pisse tache », va ! C’est le fantôme du tyran, le tirant du tyran qui était toujours présent quoique tu fisses, ou que je fis comme fils. Vous comprenez pourquoi la question fondamentale consistait à le fuir, à le rendre inexistant. Je l’ai tant espéré. Je veux dire, inexistant.

Je ne vous laisse pas ici comprendre suffisamment qu’il était violent en gestes de taloches, de fessées, de brutalité. Le scotch n’arrivait pas à geler sa frustration et l’avivait plutôt comme un carburant à haut degré d’octane. J’espérais son inexistence mais ma mère le rappelait à ma mémoire à la moindre dérive de ma part ou pour des motifs qui m’étaient inconnus. Quand il était calme, presque mort comme une eau qui dort, présidant la tablée d’enfants, il racontait le plus simplement du monde qu’il ne connaissait pas la force de ses mains et poignets. « Au collège, racontait-il, il avait, de ses mains incontrôlables, attrapé par le collet un collègue importun et l’avait projeté sur la rangée de cases métalliques qui en avait été, les pauvres, toutes cabossées. » Les vis qu’il taraudait dans le bois cassaient par trop souvent malgré le savon dont il les recouvrait. Également. Et moi, cherchant à ne pas l’entendre, je mangeais, coincé sous la tablette de la radio, entre le mur et ma sœur T., à portée de son bras gauche et de sa main qui pouvait m’arracher la tête ou la dévisser à volonté.

Ma soeur aînée m’a raconté comment elle était terrorisée de la violence du tyran alors qu’enfante, elle ne savait rien faire pour me protéger de sa violence. Elle n’était touchée que par procuration. Le tyran s’en prenait aux garçons – Jean et mon frère Jacques plus tard – mais ne touchait pas aux filles sauf la plus jeune qu’il ne manqua en rien.

Ma mère, prenait un vilain plaisir à m’installer, les mauvais matins, à genoux, face au mur, entre la commode et le garde-robe, alors que le monstre derrière moi ronflait encore avant son réveil qui n’allait pas tarder…et qui tardait sans avoir à tarder…et qui allait lui permettre de me tarauder de sa juste fessée sans la moindre sensation pour ses mains. J’en serais dévissé. Et je le fus ! Je le fus. Je le fus. L’âme dévissée du corps !

Pourquoi la mère utilisait-elle cette menace du géniteur à mon endroit ? Voilà une jolie question ! D’autant, qu’à mon souvenir, cette manipulation n’était pas utilisée par Pauline pour ses filles. Non, pour ses filles, la manipulation consistait à leur transmettre la recette femelle pour mettre à sa main un monstre tel qu’apparaissait le Gérard. « Non, ce n’est pas le moment de parler de cela à ton papa, je te dirai quand ». Ou encore : « tu dois t’y prendre de telle ou telle autre façon, si tu veux obtenir ce que tu veux de ton papa.» «  Laisse-moi cela, fais-moi confiance, je vais lui en parler ». Voilà ce qu’elle disait aux fillettes. Et les filles virent sa supériorité de femelle, sa dominance sur le « mâle-monstre », le grand modèle  de contrôle qu’elle était!

Le grand modèle de contrôle : ne disait-elle pas qu’ « il n’y a pas de raison de pécher ; la tentation est là pour t’avertir et tu n’as alors qu’à l’éviter ». Sainte Marie, mère de Dieu, toujours vierge, priez pour nous pauvres pécheurs ! À la ligne !

Pour moi, l’approche était différente de celle qui prévalait pour « les petites filles ».. Elle utilisait plutôt le monstre sous son contrôle comme outil répresseur, frappeur, terreur de géniteur à n’importe quelle heure. C’était sa façon de montrer sa dominance sur moi, « petit homme » comme elle disait. Voyez donc la différence marquée ici dans le traitement des genres, mâle et femelle, et imaginez que le résultat personnel a été différent. Et, on comprend que la question fondamentale pour moi consistait, ainsi que je l’ai dit, à le fuir, à le rendre inexistant. Je l’ai tant espéré. Je veux dire, inexistant.

L’espoir de réussir devenait grand parfois comme la tentation d’une belle pomme accrochée à un arbre et entouré d’un serpent. C’était quand il était parti en corps et en odeur et que maman, la vierge, s’ennuyait dans ses purs attributs sans tache. Probablement.

…Sans tache et sans trace de mousse qui tache, pour elle ou de pisse qui tache, pour moi…ma pistache à moi, sa moustache à elle…Allons voir. Déballons !

À ma cinquième année, elle me nomme, déjà depuis un bon bout de temps, le petit homme de la maison.

Pour tromper son ennui, lorsque le tyran n’est pas là, je couche bien souvent avec elle pour la réchauffer. Le petit homme fait l’affaire quand l’homme d’affaires n’est pas là.

Et le scénario habituel…

Elle veut que je lui gratte les jambes, mais pas trop haut, juste assez haut, un petit peu plus haut mais pas trop, ..., oh!

Et le scénario habituel…

Mais, elle veut que je lui gratte les jambes, juste assez haut, comme c’est bon, un petit peu plus...oh! c’est trop, Jean.
Et le scénario inhabituel…

Mais, elle veut que je lui gratte les jambes, juste assez haut, comme c’est bon, un petit peu plus...oh! oh ! oh ! Jeeeeaaaan ! Qu’est-ce que tu fais ? Ça ni queue ni tête ça. (Allez voir, la queue devient la tête!)


Et un soir, plus que d’autres : épouvantable, inaccep­table, répréhensible, dévoyé, déviant, et.... va te coucher dans ton lit, espèce de… !

Bandé comme un coq de bataille. Exorbité. Affolé. Estomaqué.


Sans avoir pu toucher sa moustache douce, la moustache cachée, celle qui attache ton grelot, tu sais.


Le mien fut découpé et vola aux quatre vents.


Et ma belle pistache resta encapsulée dans sa coque raidie.

Je disparus. Aux limbes.

Tu n’as pas de mots pour dire. Tu ne sais même pas que tu existes. Quand tu essaies de dire, on te fait taire. Ça ne se dit pas. Ça n’existe pas. SILENCE, ON DÉTOURNE ! Pas plus que tu n’existes. SILENCE !
La mort. Presque la mort.


Fais dodo, Pinotte,
ta mère n’est pas à tes noces
et ton père est parti chercher un morceau de rien
Couche-toi dans le coin comme un p’tit-chien !
( retournelle du chemin d’adulte et défi que j’eus à relever; les deux fournis par ma maman!)



Une autre et la même chanson en déclamation. Celle-ci, ma mère la récitait tant que je l’appris par cœur ou par levée de coeur. Je devais, alors, avoir 10 ans.



C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
« Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

Athalie de Jean Racine, acte II, scène 5

vendredi 26 novembre 2010

LE CANCER DU DÉNI - 26-11-2010

Notre pire ennemi fut le déni et, crois-moi, le déni a tendance à poursuivre son travail dans la pérennité comme si de rien nous était arrivé.

En psychanalyse on dit du déni: refus de reconnaître une réalité perçue comme étant traumatisante. Mais dans ce domaine des spécialistes de l'analyse de l'âme, on a souvent l'impression d'être coupable de quelque chose. Ou d'être démasqué dans ses recoins secrets. Ici, par cette définition, on me donne l'impression que c'est moi le ''dénieur''. Peut-être, mais...

Je crois aussi et davantage que le déni est un des grands mécanismes de protection, de défense de toutes les sociétés. Dans le cas de l'inceste, parce que ce serait un tabou, le déni est utile pour faire taire les ''mauvaises langues'', les ''commères salisseuses de réputation''. Mais, avant de parler des ''mauvaises langues'', allons plus à fond dans cette exploration des tabous, des interdits, de l'organisation de la vie en société... Parce que comme victimes nous avons besoin de toute, de toute la lumière possible.

Dans les débuts de l'humanité...

Non! Encore plus loin.
Dans l'animalité, on voit chez certaines espèces que le mâle dominant veut manger les petits et les mange quelques fois malgré les mères protectrices. On voit aussi, si la femelle a pu restreindre cet appétit initial du mâle prédateur que celui-ci peut, éventuellement s'accoupler sans restriction aux petites femelles dès leur premier rut; et le plus tôt est le mieux pour elles si elles veulent éviter d'être mangées autrement.

Comprenons que chez l'humaine espèce, le tabou, l'interdit le plus profond n'est en rien l'inceste mais plutôt celui de ne pas dévorer l'autre. Pour ta faim, tu ne tueras point de proies de ton espèce, ni pour aucune autre raison édicte le premier commandement ancien. On ne pourrait vivre en groupe si cela n'était pas édicté au départ. Le ciment du groupe naît si le commandement est là. Si non, c'est la peur qui prédomine et l'on fuit. Donc, s'il y a proie humaine, s'il y a meurtre ce ne pourra être que des assassinats accomplis sur des membres de la tribu voisine dont on ne sait trop si elle est de même espèce que nous, après tout! Car l'espèce est une notion qui naît après beaucoup de réflexion, n'est-ce pas?

Et l'inceste? Dénié, pour le moment!

Le tabou, l'interdit de l'inceste apparaît bien plus tard. On peut dire qu'il est d'invention plutôt récente.

La Bible peut servir d'exemple à mon propos. Voyons voir!

Le deuxième commandement nécessaire à la vie sociale est d'interdire à la femme de forniquer avec le voisin. Puis, par extension, au mâle prédateur de ne pas prendre la femme du voisin. Sans cet interdit la société primitive ne survivrait point. La jalousie, la possession de l'objet d'accouplement qui assure sa disponibilité au moment désiré en seraient par trop exacerbées. Les besoins des mères d'obtenir la protection de la part des géniteurs prévaut aussi. Sans la protection des possessions sexuelles, sans la protection des mères, la vie en société éclaterait.

Et les enfants, ces proies à portée de la main...sont-elles soumises comme les femmes à l'interdit d'être des proies sexuelles? Non, pas encore, c'est dénié. Cela viendra plus tard, plus tard.

Pour que la société dure et perdure, il faut encore préserver l'autorité, ce ciment essentiel. Et pour sa survie, l'autorité édicte: ''Honore ton père et ta mère'. Après le meurtre, après l'adultère, c'est la troisième invention essentielle pour assurer la survie sociale dans les temps anciens. Il faut mater les hormones des jeunes, le temps qu'il faut au plus vieux de faire leur temps. Sans cela, c'est la pagaille qui risque de s'installer entre les générations. Et alors? Les enfants-proies? Ils attendent! Qu'ont-ils à se plaindre?

Dans la Bible on peut lire que l'inceste est interdit aux enfants...jamais elle ne l'est aux parents. (Oh! Les petits cochons, alors! Il faut les éduquer!(On se demande s'il faut rire ou pleurer!))

L'histoire raconte aussi que l'inceste est l'apanage des ''connaisseurs'' dans plusieurs sociétés anciennes et moins anciennes et que les rois, reines et autres de cet acabit se sont réservés ce privilège pour des fins de préserver leur ''espèce'' divine ou presque. L'inceste est la voie royale pour les adultes divins et il est interdit aux autres classes sociales ...

L'inceste, comme un geste interdit aux adultes vient plus tard. Plus tard. Pour le moment, c'est le déni sauf pour les enfants - ces petits voyous- qui pourraient attaquer leurs parents!

Dans mon enfance d'ailleurs, il n'en était pas question et lorsque, adolescent, j'appris qu'il s'agissait d'un tabou, je compris tout d'abord qu'il s'agissait d'un sujet dont on ne parle pas en bonne société. Et j'y avais été élevé dans cette bonne société, si l'on peut dire. Le sujet était bien plus tabou que l'acte lui-même, devais-je constater! Merveille du déni qui ''surfe'' sur l'acte interdit, mais enfonce le clou sur le couvercle de la parole!

Plus tard encore dans ma vie, lorsque je lus Freud, l'inventeur de la psychanalyse, je constatai que cet interdit s'adressait aux enfants et que même si la nature les avait empli du désir sexuel pour leurs parents de sexe opposé, on devait s'opposer à ce désir pervers sous peine de les laisser développer des névroses. Que les adultes fussent aux prises avec un tel désir de chair fraîche, Freud, ne l'avait pas vu, du moins n'aborda-t-il pas la question. Lui-même victime du déni social? Peut-être. Juif, de culture juive, enfant de la bible, oui, cela certainement!

J'appris plus tard que les adultes qui commettent l'inceste sont criminels au sens de la loi de mon pays. Et que les enfants seraient purement des victimes.
Je n'acceptai pas cela de suite, car n'avais-je pas désiré ma mère et bandé férocement pour elle! Perturbé que j'étais encore à mon âge si vieux, je continuais à caresser ce fantasme destructeur!

Et plus tard...: purement des victimes. Purement des victimes les enfants, fit surface et j'entrai, enfin, dans cette vraie révélation que je n'y étais pour rien. Une sorte d'invention sortie des limbes! Je pouvais recommencer ma vie, libre de cette vieille culpabilité qui m'avait gâché l'enfance, l'adolescence et une bonne part de ma vie adulte.

Malgré la loi, je trouve sur le web des sites qui font la promotion de l'inceste comme un moyen valable d'initier les enfants à une vie sexuelle saine et départie des interdits qui pourrait la gêner. Et ce ne sont pas des criminels?

Ce qui marque cette petite histoire rapide de l'inceste, c'est le déni, le déni de la société: refus de reconnaître une réalité comme étant traumatisante pour les enfants. J'exagère?

Non.

Je te raconterai, un jour, des anecdotes qui montrent que lorsque, aujourd'hui, tu dénonces enfin que tu as été victime d'inceste, on cherchera à te faire taire. « Mais, voyons donc! »; « Ben! Tourne la page! »; « Passe à autres choses! » « Je pensais que tu t'étais fait soigné ! » seront des mots que tu entendras. Et ces mots, venant probablement de tes plus proches, amis et parents, veulent dire: tu n'as pas honte de dénigrer tes parents; tu nous fait honte; tu es infréquentable; tu n'as pas de dignité, va!

Le déni signifie socialement - et seulement socialement - que cela n'est pas, n'a jamais été, ne saurait exister, n'existe pas dans la bonne société. Ce n'est pas vrai, cela ne peut arriver, tu inventes, tu es menteur pour la bonne société.

Et le déni, cette maladie sociale par excellence, fait en sorte que nombre d'entre nous dont je suis ont nié avoir été victime d'inceste de la part d'adultes, se sont niés eux-mêmes. Ce déni personnel est simplement une conséquence de la maladie sociale. Nombre d'entre nous n'ont que des souvenirs épars, des lambeaux de mémoire, des trous de mémoire, des blancs, des épaves de mémoire dont certaines se demandent si elles ne sont pas elles-mêmes l'auteur de leurs malheurs. Ce qu'on peut dire, c'est que le déni social a été intégré par la victime. Par nous. C'est le syndrome de Stockholm où l'on voit que les otages s'identifient à leurs agresseurs. Et les victimes d'abus, de violence et d'inceste que nous sommes ont appris le déni chez leur agresseur, de l'entourage de l'agresseur, de leur propre famille, de leurs amis proches, de la société toute entière qui a une longue histoire de « non-dit » sur ces actions commises dans l'ombre, la noirceur, l'enfermement!

La résistance de la société à l'abandon du déni de l'inceste, se trouve dans la puissance du commandement ''HONORE TON PÈRE ET TA MÈRE'', me semble-t-il. Ceux qui ont bien intégré ce commandement peuvent idéaliser leurs parents, l'autorité en place. De plus ils calculent - consciemment ou pas, diraient les psychanalystes - que d'affirmer avoir eu des bons parents,de bons éducateurs laisse à penser qu'ils sont devenus eux-mêmes des gens "bien"! Selon eux, ceux qui auraient été "malmenés" doivent pardonner les quelques écarts et rejoindre le groupe des "vraies citoyennes et citoyens". D'ailleurs, ajoutent-ils, être parent n'est-il pas tellement difficile? Et la perfection n'est pas de ce monde, quoi! Ne faut-il pas se garder une marge d'erreur et n'est-il pas souhaitable pour tous d'HONORER SES PARENTS si l'on veut être honoré comme parent?

...et le déni se poursuit, la résistance est là...

Mais...Et....

L'évolution sociale est faite d'avançées et de résistances.

Oui, par ailleurs, nous avançons. Sans doute puisque nous parlons; du moins entre nous et de plus en plus. Et quand l'un de nous avance, nous avançons toutes et tous.

La valeur sociale émergente qui nous porte est celle de l'authenticité comme l'a si justement identifié le philosophe montréalais Charles Taylor - le Taylor de la commission Bouchard-Taylor- dans son ouvrage "Grandeurs et misères de la modernité".

Les tribunaux doivent maintenant écouter des victimes et le vérité se montre à jour dans sa cruelle nudité. Les circuits entêtés du déni reculent. Dans plusieurs pays occidentaux, des organismes se mettent à pied d'oeuvre pour prendre soin de notre gang et faire avancer la société sur ces enjeux d'inceste, d'abus sexuels ( cf: REVAS-QUÉBEC.)

Que de travail à faire encore! Que de souffrances!

Nous gardons espoir que notre parole peut faire la différence et que notre propre guérison (je reviendrai sur ce sujet) peut transformer la Vie.

Bonne suite du jour et que la lumière soit!

Jean

jeudi 25 novembre 2010

PREMIÈRES NOTES DE MON CARNET: LA GROSSEUR DE L'ABUS - 25-11-2010

CE CARNET est consacré à l'inceste et à l'abus sexuel. Je veux parler ici de ces formes de contacts sexuels où l'une des actrices, l'un des acteurs est asservi à l'autre contre son gré, sans capacité d'exercer sa liberté. Ma conjointe qui ne mâche pas ses mots à cet égard parle d' ''esclavage sexuel''. Alors, ce sera mon sujet central et tous ceux nombreux qui y sont associés. L'esclavage sexuel, ses conséquences et ses ramifications, si tu le veux bien.

Toi, tu seras une lectrice, un lecteur d'occasion... ou plus fidèle. Je te préfère fidèle, mais, tu seras comme tu l'entends. Et tu me feras des commentaires: flatteurs, réprobateurs, provocants. Comme tu l'entends aussi! Dans un large espace qui t'est réservé. On prend soin de toi, ici. Cela m'alimentera, me fera réfléchir, me sortira de mes gonds, m'apaisera. On verra! Certes, à mon âge, je peux penser un petit peu tout seul, mais je pense beaucoup mieux dans l'interaction. J'ai besoin de toi. Du choc jaillit la lumière m'a dit mon prof de philo et, de la friction, la chaleur, ajoutait mon prof de physique. Et j'aime et lumière et chaleur. Alors j'espère que tu seras bonne joueuse, bon joueur et que nous avancerons ensemble.

Tout cela sera fait avec respect. Oui un profond respect car c'est un sujet qui touche au sacrilège et au sacré qu'il faut recréer. À l'âme, à l'esprit, au corps offensé, blessé et difficile à cicatriser. À l'identité fragilisée pour toute la vie peut-être. De toutes façons cela ne s'efface jamais. Pas de chirurgie pour les personnes atteintes. Non, qu'un long chemin plus ou moins long pour apprendre à travers la souffrance revisitée à devenir une vraie humaine, un vrai humain porteur de densité, de profondeur comme la vie n'en fait pas autrement. Jusqu'à remercier la Vie - en finale - tout en souhaitant que l'humanité se débarrasse de cette engeance d'abus sexuel.

Alors, pour aujourd'hui, j'aborde la grosseur des abus, leur forme plus ou moins atroce lorsqu'ils sont dévoilés, réimaginés. Je me demande: et alors?

D'abord, laisse-moi te dire, à toi qui, comme moi, ne fut victime que par relativement peu de gestes abusifs si on les compare à ceux qu'on subi des enfants enfermés et asservis sexuellement pendant des années et des années par des pratiques dégueulasses et dégradantes que tu es autant de la gang des abusés que tout autre. Reçois autant de considération, je te prie, car tu sais intimement que ton intimité fut atteinte comme nous le savons tous dans chacune de nos mésaventures; tu es de ma famille recomposée, tu es ma soeur, tu es mon frère de souffrance. Et il n'y en a pas qui soient moins ou plus de ma famille parce qu'ils auraient été moins abusés ou davantage. Non. La dignité de notre humanité est égale et l'abus qui l'a atteinte est tout autant irrecevable pour chacune et chacun d'entre nous.

J'écris cela car trop souvent dans les conversations entre nous, celle ou celui qui veut être entendu désespérément a souvent la tendance de raconter le pire qu'il a vécu pour recevoir toute l'attention de l'entourage. Et le suivant surenchérit avec pire encore et ainsi de suite de pis en pis...comme si on quêtait l'or, l'argent ou le bronze de l'auditoire. Et pourtant, chaque expérience est unique et incomparable. Elle mérite d'être entendue en soi, sans jugement sur sa grosseur, pour le seul bien que son écoute redonne de la dignité à la personne blessée.

Les comparaisons de la grosseur, de la profondeur, de l'épaisseur, de la largeur des blessures, il faut laisser cela aux spécialistes et thérapeutes de tout acabit qui ont peut-être besoin de faire des catégories pour mieux ajuster leur arsenal d'intervention. Bien leur en fasse si cela leur est utile. 

Mais, entre nous, il y a tout intérêt à ne pas comparer. La comparaison risque trop de remettre l'une ou l'un d'entre nous dans la position de marchandise mesurable, pondérable, évaluable, de chose utilisable sans avis du propriétaire. Un objet pour la satisfaction d'autrui. Non. À cela nous devons dire non! Nous avons assez donné.

Je conclus: si la démocratie a proposé une personne, un vote parce que la dignité humaine est égale, je propose que nous soyons associés par l'égalité de notre sort, celui d'avoir été abusés, afin que nous nous redonnions toute la dignité incomparable dont chacune et chacun est porteur.


Jean