jeudi 3 novembre 2011

DEVOIR DU 3 NOV 2011- RAYMOND GRAVEL OU LE JUGEMENT PERTURBÉ

À l'age de 12 ans, Raymond Gravel reçoit une tentative de tripotage d'un religieux éducateur dont il retire la main de ses culottes. En réponse, ce dernier feint alors de l'étouffer avec le cordon qui retient sa soutane. Raymond Gravel affirme aujourd'hui : « je n'ai pas été traumatisé pour autant ».

Il y a des questions simples qui surgissent à l'esprit de celles et ceux qui ont quelque expérience valable dans ce domaine de l'inceste et de l'abus sexuel sur les enfants. Des questions simples, oui!

Pourquoi Raymond Gravel a-t-il refusé le tripotage qui lui est alors proposé? Si sa réponse est qu'il ne trouvait pas cela acceptable psychologiquement ou moralement pourquoi alors ne s'en est-il pas plaint à l'autorité de son collège religieux ou à ses propres parents?

La conséquence de cet abandon de responsabilités de la part de Raymond Gravel au profit des abuseurs religieux de son époque est aujourd'hui manifeste. Celui qui nous avait habitué à de la compassion, inspiré sans doute par les Béatitudes et prêchant pour la défense des petits, des sans-voix, des opprimés par les préjugés sociaux - les homosexuels par exemple-, voilà qu'il défend le pouvoir établi, son église et cette « majorité de religieux qui ne sont pas concernés par la pédophilie, qui n'ont jamais été en autorité et qui se voient obligés de payer pour l'écart de conduite de certains des leurs ». Pour ma part, les seules personnes que je connais qui ne sont pas concernées par la pédophilie sont celles qui, comme Raymond Gravel, ont été incapables de la dénoncer alors qu'elle se présentait sous leur nez ou dans leur culotte ou encore qui ne savent pas la reconnaître dans leurs pulsions.

L'incohérence de Raymond Gravel est évidente dans plus d'un aspect de sa diatribe que publie le Devoir du 3 novembre 2011. À titre d'exemples : il prétend ne pas banaliser l'histoire des victimes, mais il banalise la sienne; il prétend que les bons religieux non-concernés n'ont pas à payer pour l'écart des autres, mais il veut que toute la société paye pour toutes les vraies victimes; il prétend qu'il est inacceptable et abusif de juger du passé avec le regard qu'on porte aujourd'hui, même s'il est épouvantable, à son jugement, que des religieux ou des laïcs aient commis des agressions sexuelles sur des jeunes qui leur étaient confiés. Bref, le jugement de l'homme est joliment perturbé et son sens de l'évangile profondément atteint. Cela arrive fréquemment lorsque l'on se retrouve dans une situation paradoxale. Le mental se débat alors comme un diable dans l'eau bénite. C'est le cas de ce prêtre en lutte avec ses démons.

Ce que Raymond Gravel ne comprend pas, c'est la nature même de l'abus sexuel sur un enfant. En effet, l'abus sexuel d'un enfant n'est pas qu'un geste criminel de la part d'un individu sur un autre, contrairement à la majorité des délits criminels. Comprenez ceci. Il s'agit plutôt d'un geste de toute une société sur un seul individu; car l'agresseur ici porte le pouvoir de toute la société devant l'enfant qui est totalement vulnérable. J'en tiens pour preuve de mon affirmation qu'il prend parfois 10, 20, 30, 50 ans à une « vraie » victime pour enfin parler des faits et des conséquences incommensurables sur elle. Elle aura du traverser l'ignoble déni social, compact et complice, qui entoure la commission de tels actes. Et le plus souvent lorsqu'elle parle, encore et encore aujourd'hui, le déni social sur sa situation se poursuivra. Il y en a plein et plein de ces rabroueurs et bien-pensants qui veulent empêcher les victimes de parler; leurs ancêtres n'étaient autres que les protecteurs des abuseurs d'hier!

La morale enseignée dans les cours de théologie de l'époque de Raymond Gravel ne faisait pas état de la nature sociale particulière de ce crime d'abus sexuel sur les enfants. La spiritualité de Jésus de Nazareth aurait pu pourtant mettre la puce à l'oreille de ces savants : « ce que vous faites au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites »; et ce moi évoqué ici n'est rien d'autres que le plus sacré et la plus intime de chacune et de chacun d'entre nous.

M'est avis que seuls ceux qui reconnaissent en eux les pulsions pédophiles peuvent en faire le deuil du passage à l'acte. Les autres sont pédophiles ou doivent être considérés comme des complices aux pédophiles par le déni même qui les habite.

Un jour viendra...