jeudi 23 mai 2013

LE CSJR FAIT UN PETIT PAS! L'INCESTE, PARLONS-EN!


Hier soir, ce 22 mai 2013,  à la Librairie Pauline de Montréal avait lieu une conférence-échange sur le thème L’INCESTE, PARLONS-EN!

Le Centre de Justice Réparatrice  (CSJR) était l’instigateur de l’événement et il avait réuni  au micro une psychothérapeute de victimes d’inceste, Claire Messier et une psychologue intervenante  durant de nombreuses années auprès d’agresseurs sous sentence, Line Bernier.

Nous nous y étions rendus, mon épouse et moi-même, tous deux victimes d’inceste durant l’enfance et  porteurs d’une longue recherche et d’une longue réflexion sur ce sujet brûlant dont les rives d’accès sont abruptes et qui constitue globalement une « terra incognita » pour la majorité…ou presque. Qui plus est, ma chérie vient de terminer, après trois ans et demi de labeur, la rédaction d’un livre significatif sur le sujet , un essai qui tente de faire l’exploration de ce sujet presque fantôme et ce, sur toutes les coutures, y compris sous l’angle majeur de la participation de la culture sociale à la perpétration du crime et à la victimisation des victimes ( la redondance est souhaitée ici!).

Ajoutons la « curiosité » suivante au présent propos:  France et moi-même, avons été victimes de rejet et d’ostracisme de la part du CSJR lors d’une exposition d’art « libérateur » tenue en 2012 alors que 7 œuvres présentées par nous portaient en sous-titre L’INCESTE, PARLONS-EN!  Certes nous n’avions pas enregistré cette marque de commerce! Mais après les paroles « avilissantes» de représentants officiels du CSJR dont nous avions été l’objet, comme d’autres artistes victimes d’inceste d’ailleurs, le retour en écho  du sous-titre de nos œuvres - la Vie étant la Vie – marquait peut-être une certaine mise à jour de l’organisme dit de justice réparatrice. Nous fallait voir pour ajuster nos désolations, nos rires et nos joies!

Les deux conférencières étaient, à notre avis,  en maîtrise de leur sujet et le public a été éclairé sur une bonne part du chemin des victimes et sur celui des agresseurs sous sentence lesquels, lorsqu’ils sont engagés dans un programme cohérent, montre une faible récidive. Bravo !

C’était une première pour le CSJR de manifester son courage et d’organiser un tel événement public. Un petit pas pour sortir de son ornière qui l’a fait  traiter en privé des crimes et particulièrement celui de l’inceste qui mérite autres considérations. Bravo !

Voici toutefois nos toutefois, nos, mais, nos réticences, nos objections…


Le concept de justice réparatrice identifiée par l’inspiratrice et fondatrice du CSJR– Thérèse de Villette – est celui d’une « revisitation » de crimes en favorisant des échanges entre victimes-agresseurs et représentant de la communauté ; les trois parties ayant matière à apporter à l’échange et un intérêt commun à la réparation des uns, des autres et de soi-même.

Hier soir, pas de représentant de la communauté. Thérèse de Villette avec ses belles idées est laissée sous le boisseau. Et tout ce lourd volet  de l’inceste comme crime social  est une fois de plus soumis au tabou. Le CSJR n’’est pas rendu là, pas encore !
Je ne voudrais pas ici  risquer de ne pas être compris.
Qu’aurait pu dire un « représentant de la communauté » sur l’inceste ?   ENTRE AUTRES…

DES FAITS DE CHAUDE ACTUALITÉ 

-         Peut-être aurait-il souligné ce fait social de « l’ici et du maintenant »: l’hôtesse de la conférence, Les Librairies Paulines des Filles de Saint-Paul, exposait au bénéfice du public une cinquantaine de livres sur des sujets en  « banlieue » de l’inceste, mais n’avait pu en dénicher aucun sur le sujet lui-même. Voyez-vous que le tabou de l’inceste ne porte pas tellement sur la défense de commettre l’acte criminel, mais sur le fait d’en parler. Le grand vide dans la littérature facilement accessible est là pour le montrer : aucun livre sur l’inceste n’ornait la table bien garnie. ( Le seul livre présent sur les lieux était celui de France !) La Fille de Saint-Paul à qui nous avons posé la question était désolée : elle avait fait trois jours de recherche. En vain!

-         Peut-être ce représentant aurait-il ajouté à l’évocation des 10-15-20-25-35-45-50  ans de souffrances de la victime taciturne et retournée contre elle-même  le fait que, vendredi dernier, le projet de loi 22 déposé à l’Assemblée Nationale du sous-pays du Québec  a été amendé à la dernière minute pour limiter à 30 ans le délai de poursuites civiles contre l’agresseur-e sexuel. Comprenez-y quelque chose !!! Des victimes demandant l’imprescriptibilité du crime ont manifesté devant l’Assemblée avec un carré dont la couleur ne fut pas précisée…

-         Peut-être  que notre représentant de la communauté aurait évoqué les grandes affaires d’Outreau, les sœurs Dionne, les sœurs Hamelin …et tracé le traitement accordé par les médias à ce genre de nouvelles…Progrès ou stagnation dans le scandale ?


LA SOCIÉTÉ DE DROIT

-         Peut-être aurait-il ajouté au moins un mot – celui de crime - à la définition de l’inceste proposée au début de la conférence ! Le mot crime est ce mot qui relève de la zone sociale et du droit qui en découle  voyez-vous ! Et alors, le mot crime aurait eu droit de cité  dans les échanges plutôt qu’ « abus » qui a prévalu !

-         Peut-être aurait-il insisté sur le statut de l’enfant auquel on reconnaît explicitement des droits ( c’est de plus en plus une personne et de moins en moins, surtout dans les cultures occidentales, une propriété parentale) Et parce qu’un « représentant de la communauté »  considère l’enfant comme  l’avenir de la société , il aurait peut-être dit que le crime d’inceste doit être qualifié de crime non seulement contre la personne, mais de crime contre l’humanité.

-         Peut-être aurait-il poursuivi sur le qualificatif de crime attribué à l’inceste comme un fait très récent dans l’histoire et non encore clairement établi dans la législation de plusieurs pays. La France nommément ! La Suisse ! pour nommer quelques pays presque civilisés... Il aurait dit un mot sur les pratiques judiciaires qui encore pour beaucoup favorisent les agresseurs aux dépens des victimes. Et il aurait sans doute souligné le nécessaire accompagnement des victimes qui ont le courage de poursuivre même si les professionnels qui aident les victimes n’ont pas encore l’obligation d’examiner la voie des poursuites judiciaires avec leurs clients  ( si on fait exception de la dénonciation obligatoire à la DPJ si ceux-ci sont des enfants… ).

DES FAITS DE LANGUE QUI TIRENT À BOUT PORTANT SUR LA VICTIME

-         Il aurait sans doute témoigné de plusieurs dérives linguistiques sur l’inceste. La première étant simplement que le dictionnaire Larousse définit exclusivement l’inceste comme l’interdit du mariage consanguin. Nulle évocation du crime sur la personne d’un enfant même si  le sens commun y réfère en premier lieu. Faut voir pour le croire !

-         Peut-être aurait-il mis en cause cette manie des sciences humaines d’englober toute agression sexuelle et toute statistique en découlant dans un ensemble presque neutre  qui s’appelle « abus sexuels » comme on dit abus de table, abus de toutes ces bonnes choses de la vie. Et se serait-il fort probablement mêlé de faire valoir que le crime d’inceste constitue une agression à l’encontre de la croissance d’un enfant. Et qu’en conséquence tout amalgame réducteur constitue une sorte de déni et parfois de complicité avec ce crime contre l’humanité !

-         Peut-être lui serait-il venu à l’esprit d’éclairer le mot « tabou »  et de faire comprendre l’ambiguïté de ce mot inventé par les anthropologues du XXe  siècle pour décrire l’interdit dans toute société de s’unir entre consanguins. Et en effet, contrairement à cette prétention des anthropologues et du dictionnaire,  l’inceste est une agression de la part d’un adulte  chargé d’une mission d’éducation et de protection sur la personne d’un enfant de sa propre famille et que le tabou qui  porte davantage sur le fait de parler d’inceste a pour effet de le protéger de la dénonciation de tout un chacun. On peut commettre l’inceste et il est commis abondamment, mais on ne peut pas en parler ni témoigner de son mystère social ( comme le montre la présente conférence d’ailleurs qui fit l’aveugle sur cette dimension sociale!)

DES FAITS DE CULTURE

-         Peut-être aurait-il aussi témoigné du concours de la religion établie à la propagation de l’inceste ? La Bible, par exemple, n’en fait un interdit qu’aux enfants ! Les parents de la Bible et de toute la tradition judéo-chrétienne ne sont pas ceux qui auraient pu le commettre. Non, non, ils sont des dieux éducateurs et pédagogues avertis! Le seul qui pourrait commettre l’acte est l’enfant,  cet « infans » en latin, c’est-à-dire celui qui ne parle pas ! Et quand ils grandissent, les chéris, ils doivent impérativement HONORER LEUR PÈRE ET MÈRE sous peine d’un discrédit social féroce. S’ils avaient été moins  bêtes, ils auraient compris la pédagogie utilisée !!!  Et il aurait peut-être ajouté, ce représentant de la communauté que les agresseurs sexuels d’enfants en robes noires  dans les orphelinats subventionnés se faisaient appeler PÈRE, MÈRE, SŒUR, FRÈRE …et les enfants gardés prisonniers et silencieux!

L’EXPERTISE PROFESSIONNELLE : L’ÉTAT DES LIEUX

-         Peut-être aurait-il ajouté quelques mots sur l’histoire de l’aide professionnelle apportée aux enfants victimes encore jeunes ou devenus adultes. Il aurait contribué à tracer pour le public l’état actuel des lieux  en ce qui a trait aux approches thérapeutiques, à l’entraide entre pairs-victimes, aux traitements des enfants victimes tels ceux du Centre Marie-Vincent....

-         Peut-être aurait-il raconté cette histoire du jeune Freud qui dans ses premiers écrits sur le sujet s’en prend aux agresseurs incestueux jusqu’à ce qu’il réalise, le pauvre, que la bonne société autrichienne n’aime pas du tout son propos. Entre deux cigares, le fin finaud retourne sa veste et, poursuivant la tradition judéo-chrétienne, attribue aux enfants le désir œdipien sur le parent du sexe opposé et le projet de meurtre sur celui de son propre sexe. Et combien de victimes, jusqu’à tout récemment, ont été traités par des thérapeutes comme des êtres qui ont transformé leurs fantasmes sexuels à l’endroit de leurs parents pour des réalités alors que celles-ci n’ont pas existé !!!


LA SOLIDARITÉ

Et peut-être aurait-il témoigné que, à titre de représentant de la communauté dans les rencontres entre victimes d’inceste et agresseurs, il reconnaît  pleinement la responsabilité de la société dans la perpétration de ce crime et qu’il cherche constamment à modifier cette culture du tabou et du non-dit qui y prévaut. Pour favoriser la guérison, il  proclame le droit plein et entier des victimes en voie de réhabilitation au titre absolu de personne et de citoyen de la société humaine.

Car ce sont des mots qui ont leur poids non seulement lorsqu’ils sont dits par le thérapeute, mais davantage s’ils sont dits par un agresseur et profondément s’ils sont dits par un « représentant de la communauté » !


Matière à progrès ou au moins matière à réflexion!


Jean