vendredi 26 novembre 2010

LE CANCER DU DÉNI - 26-11-2010

Notre pire ennemi fut le déni et, crois-moi, le déni a tendance à poursuivre son travail dans la pérennité comme si de rien nous était arrivé.

En psychanalyse on dit du déni: refus de reconnaître une réalité perçue comme étant traumatisante. Mais dans ce domaine des spécialistes de l'analyse de l'âme, on a souvent l'impression d'être coupable de quelque chose. Ou d'être démasqué dans ses recoins secrets. Ici, par cette définition, on me donne l'impression que c'est moi le ''dénieur''. Peut-être, mais...

Je crois aussi et davantage que le déni est un des grands mécanismes de protection, de défense de toutes les sociétés. Dans le cas de l'inceste, parce que ce serait un tabou, le déni est utile pour faire taire les ''mauvaises langues'', les ''commères salisseuses de réputation''. Mais, avant de parler des ''mauvaises langues'', allons plus à fond dans cette exploration des tabous, des interdits, de l'organisation de la vie en société... Parce que comme victimes nous avons besoin de toute, de toute la lumière possible.

Dans les débuts de l'humanité...

Non! Encore plus loin.
Dans l'animalité, on voit chez certaines espèces que le mâle dominant veut manger les petits et les mange quelques fois malgré les mères protectrices. On voit aussi, si la femelle a pu restreindre cet appétit initial du mâle prédateur que celui-ci peut, éventuellement s'accoupler sans restriction aux petites femelles dès leur premier rut; et le plus tôt est le mieux pour elles si elles veulent éviter d'être mangées autrement.

Comprenons que chez l'humaine espèce, le tabou, l'interdit le plus profond n'est en rien l'inceste mais plutôt celui de ne pas dévorer l'autre. Pour ta faim, tu ne tueras point de proies de ton espèce, ni pour aucune autre raison édicte le premier commandement ancien. On ne pourrait vivre en groupe si cela n'était pas édicté au départ. Le ciment du groupe naît si le commandement est là. Si non, c'est la peur qui prédomine et l'on fuit. Donc, s'il y a proie humaine, s'il y a meurtre ce ne pourra être que des assassinats accomplis sur des membres de la tribu voisine dont on ne sait trop si elle est de même espèce que nous, après tout! Car l'espèce est une notion qui naît après beaucoup de réflexion, n'est-ce pas?

Et l'inceste? Dénié, pour le moment!

Le tabou, l'interdit de l'inceste apparaît bien plus tard. On peut dire qu'il est d'invention plutôt récente.

La Bible peut servir d'exemple à mon propos. Voyons voir!

Le deuxième commandement nécessaire à la vie sociale est d'interdire à la femme de forniquer avec le voisin. Puis, par extension, au mâle prédateur de ne pas prendre la femme du voisin. Sans cet interdit la société primitive ne survivrait point. La jalousie, la possession de l'objet d'accouplement qui assure sa disponibilité au moment désiré en seraient par trop exacerbées. Les besoins des mères d'obtenir la protection de la part des géniteurs prévaut aussi. Sans la protection des possessions sexuelles, sans la protection des mères, la vie en société éclaterait.

Et les enfants, ces proies à portée de la main...sont-elles soumises comme les femmes à l'interdit d'être des proies sexuelles? Non, pas encore, c'est dénié. Cela viendra plus tard, plus tard.

Pour que la société dure et perdure, il faut encore préserver l'autorité, ce ciment essentiel. Et pour sa survie, l'autorité édicte: ''Honore ton père et ta mère'. Après le meurtre, après l'adultère, c'est la troisième invention essentielle pour assurer la survie sociale dans les temps anciens. Il faut mater les hormones des jeunes, le temps qu'il faut au plus vieux de faire leur temps. Sans cela, c'est la pagaille qui risque de s'installer entre les générations. Et alors? Les enfants-proies? Ils attendent! Qu'ont-ils à se plaindre?

Dans la Bible on peut lire que l'inceste est interdit aux enfants...jamais elle ne l'est aux parents. (Oh! Les petits cochons, alors! Il faut les éduquer!(On se demande s'il faut rire ou pleurer!))

L'histoire raconte aussi que l'inceste est l'apanage des ''connaisseurs'' dans plusieurs sociétés anciennes et moins anciennes et que les rois, reines et autres de cet acabit se sont réservés ce privilège pour des fins de préserver leur ''espèce'' divine ou presque. L'inceste est la voie royale pour les adultes divins et il est interdit aux autres classes sociales ...

L'inceste, comme un geste interdit aux adultes vient plus tard. Plus tard. Pour le moment, c'est le déni sauf pour les enfants - ces petits voyous- qui pourraient attaquer leurs parents!

Dans mon enfance d'ailleurs, il n'en était pas question et lorsque, adolescent, j'appris qu'il s'agissait d'un tabou, je compris tout d'abord qu'il s'agissait d'un sujet dont on ne parle pas en bonne société. Et j'y avais été élevé dans cette bonne société, si l'on peut dire. Le sujet était bien plus tabou que l'acte lui-même, devais-je constater! Merveille du déni qui ''surfe'' sur l'acte interdit, mais enfonce le clou sur le couvercle de la parole!

Plus tard encore dans ma vie, lorsque je lus Freud, l'inventeur de la psychanalyse, je constatai que cet interdit s'adressait aux enfants et que même si la nature les avait empli du désir sexuel pour leurs parents de sexe opposé, on devait s'opposer à ce désir pervers sous peine de les laisser développer des névroses. Que les adultes fussent aux prises avec un tel désir de chair fraîche, Freud, ne l'avait pas vu, du moins n'aborda-t-il pas la question. Lui-même victime du déni social? Peut-être. Juif, de culture juive, enfant de la bible, oui, cela certainement!

J'appris plus tard que les adultes qui commettent l'inceste sont criminels au sens de la loi de mon pays. Et que les enfants seraient purement des victimes.
Je n'acceptai pas cela de suite, car n'avais-je pas désiré ma mère et bandé férocement pour elle! Perturbé que j'étais encore à mon âge si vieux, je continuais à caresser ce fantasme destructeur!

Et plus tard...: purement des victimes. Purement des victimes les enfants, fit surface et j'entrai, enfin, dans cette vraie révélation que je n'y étais pour rien. Une sorte d'invention sortie des limbes! Je pouvais recommencer ma vie, libre de cette vieille culpabilité qui m'avait gâché l'enfance, l'adolescence et une bonne part de ma vie adulte.

Malgré la loi, je trouve sur le web des sites qui font la promotion de l'inceste comme un moyen valable d'initier les enfants à une vie sexuelle saine et départie des interdits qui pourrait la gêner. Et ce ne sont pas des criminels?

Ce qui marque cette petite histoire rapide de l'inceste, c'est le déni, le déni de la société: refus de reconnaître une réalité comme étant traumatisante pour les enfants. J'exagère?

Non.

Je te raconterai, un jour, des anecdotes qui montrent que lorsque, aujourd'hui, tu dénonces enfin que tu as été victime d'inceste, on cherchera à te faire taire. « Mais, voyons donc! »; « Ben! Tourne la page! »; « Passe à autres choses! » « Je pensais que tu t'étais fait soigné ! » seront des mots que tu entendras. Et ces mots, venant probablement de tes plus proches, amis et parents, veulent dire: tu n'as pas honte de dénigrer tes parents; tu nous fait honte; tu es infréquentable; tu n'as pas de dignité, va!

Le déni signifie socialement - et seulement socialement - que cela n'est pas, n'a jamais été, ne saurait exister, n'existe pas dans la bonne société. Ce n'est pas vrai, cela ne peut arriver, tu inventes, tu es menteur pour la bonne société.

Et le déni, cette maladie sociale par excellence, fait en sorte que nombre d'entre nous dont je suis ont nié avoir été victime d'inceste de la part d'adultes, se sont niés eux-mêmes. Ce déni personnel est simplement une conséquence de la maladie sociale. Nombre d'entre nous n'ont que des souvenirs épars, des lambeaux de mémoire, des trous de mémoire, des blancs, des épaves de mémoire dont certaines se demandent si elles ne sont pas elles-mêmes l'auteur de leurs malheurs. Ce qu'on peut dire, c'est que le déni social a été intégré par la victime. Par nous. C'est le syndrome de Stockholm où l'on voit que les otages s'identifient à leurs agresseurs. Et les victimes d'abus, de violence et d'inceste que nous sommes ont appris le déni chez leur agresseur, de l'entourage de l'agresseur, de leur propre famille, de leurs amis proches, de la société toute entière qui a une longue histoire de « non-dit » sur ces actions commises dans l'ombre, la noirceur, l'enfermement!

La résistance de la société à l'abandon du déni de l'inceste, se trouve dans la puissance du commandement ''HONORE TON PÈRE ET TA MÈRE'', me semble-t-il. Ceux qui ont bien intégré ce commandement peuvent idéaliser leurs parents, l'autorité en place. De plus ils calculent - consciemment ou pas, diraient les psychanalystes - que d'affirmer avoir eu des bons parents,de bons éducateurs laisse à penser qu'ils sont devenus eux-mêmes des gens "bien"! Selon eux, ceux qui auraient été "malmenés" doivent pardonner les quelques écarts et rejoindre le groupe des "vraies citoyennes et citoyens". D'ailleurs, ajoutent-ils, être parent n'est-il pas tellement difficile? Et la perfection n'est pas de ce monde, quoi! Ne faut-il pas se garder une marge d'erreur et n'est-il pas souhaitable pour tous d'HONORER SES PARENTS si l'on veut être honoré comme parent?

...et le déni se poursuit, la résistance est là...

Mais...Et....

L'évolution sociale est faite d'avançées et de résistances.

Oui, par ailleurs, nous avançons. Sans doute puisque nous parlons; du moins entre nous et de plus en plus. Et quand l'un de nous avance, nous avançons toutes et tous.

La valeur sociale émergente qui nous porte est celle de l'authenticité comme l'a si justement identifié le philosophe montréalais Charles Taylor - le Taylor de la commission Bouchard-Taylor- dans son ouvrage "Grandeurs et misères de la modernité".

Les tribunaux doivent maintenant écouter des victimes et le vérité se montre à jour dans sa cruelle nudité. Les circuits entêtés du déni reculent. Dans plusieurs pays occidentaux, des organismes se mettent à pied d'oeuvre pour prendre soin de notre gang et faire avancer la société sur ces enjeux d'inceste, d'abus sexuels ( cf: REVAS-QUÉBEC.)

Que de travail à faire encore! Que de souffrances!

Nous gardons espoir que notre parole peut faire la différence et que notre propre guérison (je reviendrai sur ce sujet) peut transformer la Vie.

Bonne suite du jour et que la lumière soit!

Jean